Enlevée à l’enfance comme une esclave, mariée de force puis encore enlevée comme un trophée, puis assiégée au même titre que ses tortionnaires pour être « libérée » par le clan d’hommes qui l’avait mariée de force, et enfin accusée devant les siècles d’avoir causé toute cette violence et même la fin d’une civilisation …
Hélène est la victime exemplaire des crimes des hommes : déportation, séquestration, viol, transactions et pactes entre les hommes qui veulent posséder l’esclave, vengeance armée contre l’esclave en cas de désaccord entre eux, puis, pour blanchir le déchaînement de haine misogyne, diffamation publique sans limite et fabrication méthodique d’une réputation d’une violence inouïe, pour faire d’une cible contemporaine une cible pour les générations d’hommes à venir.
Renommée par l’ennemi Hélène de Troie, deux fois enterrée dans son nom, par l’ennemi Grec pour être haïe à jamais, par l’ennemi Troyen pour être possédée à jamais.
Combien d’Hélène je connais … Assez pour expliquer la mort de toutes les civilisations passées et avenir.
Et pourtant, elles n’ont fait que tenter (elles ont échoué) de se libérer du joug d’un homme, en recourant à la justice ou aux soins.
Mais la « justice » est la loi des hommes : elle est issue du code Napoléon – colon meurtrier et haineux des femmes. Et les soins sont des protocoles hérités du génocide des Sorcières et de la persécution des Hystériques du 19ème siècle.
La machinerie de guerre.
Qu’est une femme victime de viol par inceste face au psychanalyste ? « Une névrosée qui veut du Père et du Phallus ». Hélène.
Qu’est une femme victime de violences masculines dans la famille face à un psychologue formé à la systémique ? « La coresponsable dans la responsabilité circulaire propre au système familial ». Hélène.
Et une femme victime de viol face à un juge ? « Une plaignante peut-être consentante ». Hélène.
Et une femme victime de violences conjugales face au Juge aux affaires familiales ? « Une revancharde ». Hélène.
Et une mère témoin des violences paternelles contre ses enfants face au JAF ou au Juge pour enfants ? « Une mauvaise mère qui déplace le « conflit conjugal » sur les enfants ». Hélène.
Et une mère alertée par les comportements inquiétants du père contre ses filles face à l’enquêteur social ? « Une mère aliénante ». Hélène.
Et une femme victime (de pression sexuelle donc) de viol conjugal face au sexologue ? « Une frigide à rééduquer ». Hélène.
Et une femme en pleine dissociation post-traumatique face à un psychiatre ? « Une psychose hystérique ». Hélène.
Et une femme en danger, paralysée par les injonctions contradictoires et consciente de l’incapacité des forces de l’ordre à la protéger, face au policier ? « Une femme amoureuse qui ne sait pas ce qu’elle veut ». Hélène.
Voilà un tout petit peu de l’armée d’hommes dressée contre les femmes. Tous, collectivement, soudés par les pactes virils propre au contrat social, ils mènent une guerre d’usure contre chaque femme isolée l’une de l’autre, assiégée par au moins un viril.
Les ruses de guerre.
A toute guerre virile, son manuel et son récit de vainqueur. Son Malleus Malleficarum*. La pornographie a cette double fonction.
Ainsi : qu’est une femme face à un homme porno-imbibé ? Une cible. La Hélène mythique qui mérite qu’un viril l’assiège pour la « libérer » (d’elle-même, afin de pouvoir la posséder) puis lui fasse une réputation digne des crimes qu’il commet contre elle.
Puis, à toute guerre virile, ses ruses de guerre.
Au milieu d’un siège millénaire, juste après un coup de force, proposer l’accalmie : l’agresseur en chef détache un régiment pour jouer les ambassadeurs de paix auprès des assiégées … la ruse du Cheval** de Troie est l’une des plus efficaces car toute opprimée choisira l’espoir plutôt que la haine et, à plus ou moins long terme, la mort.
L’amour hétérosexuel chez les hommes a cette fonction de ruse de guerre. La ficelle est énorme quand même : dans une culture virile de haine des femmes, haine profonde et argumentée qui est transversale à toutes les « Grandes » civilisations passées et actuelles, comment croire que cet « amour » soit autre chose qu’un intérêt prédateur ? Au plan global, le mythe de l’Amour des hommes pour les femmes n’est que cela : un mythe. Au plan local (dans « la tête des hommes »), c’est une structure subjective ajustée à la structure objective comme dirait Bousieux, c’est à dire que le mythe de l’amour sert leurs intérêts dominants, qui sont la prédation et la bonne conscience dans la domination. Il s’agit alors d’un mélange (à proportion variable selon le degré de psychopathie et de sociopathie de l’homme) d’intérêt sadique pour la proie (« amour » pour « la différence », pour « la féminité » qui regroupe un ensemble de signes de faiblesse ou de force inoffensive) et de simulacre d’amour pour forcer le siège et annexer une femme. Agiter l’alibi de l’Amour pour La Femme afin de faire la guerre et mystifier toutes les femmes sur le sens réel qu’a le rapprochement des corps, voilà une technique virile aussi ancienne qu’efficace.
Une autre ruse est de faire passer les coupables pour les victimes dans une mise en scène sidérante. Or, dans un système pervers, quelle plus belle figure de la souffrance humaine que celle du bourreau ? Ulysse pleurant la mort d’un autre homme : voilà qui effacera la douleur des milliers de femmes et filles capturées, déportées chez l’ennemi, séquestrées, violées, réduites en esclavage quand les grecs ont envahi Troie. Une larme pour un massacre, une jérémiade pour un charnier… l’histoire des hommes est jonchée de ces équations abjectes. Une seule douleur tonitruante pour recouvrir un crime de masse … une douleur théâtrale. Oui, théâtrale, car totalement improbable : quel soldat, quelle machine à tuer serait capable d’une douleur si humaine ? Le seul motif d’une telle émotion est égocentrique : Ulysse se pleure lui-même, et pleure son honneur mâle bafoué, il refuse la défaite que lui promet ce meurtre. C’est son ego qui a été tué, son alter-ego. Et d’ailleurs, quel ami sincère serait capable de traîner à terre sur des kilomètres le corps de l’être aimé ? Comment peut-il prétendre convoquer le monde entier au deuil de son ami en profanant son corps ? Au plan stratégique, ce théâtre de la Douleur n’est pas la conséquence d’une douleur impossible à réprimer mais un acte d’intimidation, une démonstration de force. L’agresseur use du terrorisme émotionnel pour paralyser, par l’empathie, toute personne qui souffre réellement de cette guerre, et pour paralyser, par la peur, toute personne qui ressent la violence qu’il y a dans ce simulacre.
Les hommes, en tant que caste dressée au silence des émotions et du dialogue avec l’opprimée, manient les sentiments des opprimé-e-s comme des armes et leurs propres émotions comme des hameçons. Ils sont coutumiers de ces théâtres des Douleurs et des Colères divines. Les guerriers se déguisent en humain ou en dieux pour entrer dans l’âme de leur victime, et mener leur guerre de l’intérieur.
Ainsi : qu’est-ce qu’un homme qui geint en haut d’une grue ? Au bord d’une fenêtre devant sa femme et ses enfants ? Un conjoint violent qui fait du terrorisme émotionnel et prend en otage la justice et l’humanité de ses victimes. Au plan local, Ulysse traînant sur la longueur le corps d’un être cher, et, au plan global du rapport de force entre femmes et justice aux « affaires » ( = violences) familiales : Ulysse dans son cheval de Troie.
Qu’est-ce qu’un conjoint violent attentionné au chevet de sa femme, qui s’inquiète auprès de chaque médecin des contre-indications mortelles des médicaments prescrits ? Un assassin déterminé. Ulysse …
Qu’est-ce qu’un conjoint violent qui offre des cadeaux à ses enfants ? Un simulateur. Ulysse dans son cheval de Troie.
Qu’est-ce qu’un père violent attentionné qui accompagne sa fille chez le gynécologue ? Un traqueur. Ulysse …
Qu’est-ce qu’un homme « pro-féministe » qui mecsplique aux femmes leur oppression ? Un paternaliste. Ulysse …
Qu’est-ce qu’un appel à l’égalité au cœur d’une société saturée de pornographie et de crimes ciblés ? Un traquenard. Un pacte non de paix mais de silence sur les crimes en cours. Une armée d’Ulysse dans leur cheval des démocraties guerrières.
Morale de l’Histoire.
Le sexisme est une interminable guerre contre Hélène de Troie, et contre Cassandre, l’infatigable Voix de la Vérité.
La propagande porno-sexo-scientifique*** est une vaste opération de blanchiment. Les dominants blanchissent leur guerre : une guerre menée par des hommes, qui a pour but d’accaparer un pouvoir d’homme (pouvoir de tuer pour avoir le pouvoir, pouvoir de violer pour avoir le pouvoir) en accusant une femme et donner à la victime un visage d’homme ; puis, grâce à ces figures, tragique du Hercule blessé, et répugnante, d’Hélène la sorcière, expliquer l’escalade de violence.
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à Lire & relire
Andrea DWORKIN
chapitre 7 du livre Woman Hating
http://www.feministes-radicales.org/wp-content/uploads/2010/11/Andrea-DWORKIN-Woman-Hating-A-Radical-Look-at-Sexuality-1974.pdf
Barbara EHRENREICH & Deirdre ENGLISH
Witches, Midwives, and Nurses: A History of Women Healers. 1973
extrait :
https://www.marxists.org/subject/women/authors/ehrenreich-barbara/witches.htm
Barbara EHRENREICH & Deirdre ENGLISH:
For Her Own Good : Two Centuries of the Experts Advice to Women. 1978
Dont le chapitre 4 :
“Complaints and Disorders. The sexual Politics of Sickness”
A lire : “Suppressed Histories Archives – Restoring Women to Cultural Memory”,
site de Max Dashu qui est une chercheuse incroyablement érudite :
http://www.suppressedhistories.net/
et plein d’articles d’histoire des Sorcières sur :
The Secret History of the Witches:
http://www.suppressedhistories.net/secrethistory/secrethistory.html
Pour finir, en beauté et en joie :
l’article de Mary DALY
« Be-Witching : Re-Calling the Archimagical Powers of Women »
https://drive.google.com/file/d/0B-HtMFdIaxajSkhsd3RNWjJsTFE/edit
A voir aussi :
l’oeuvre d’une des rares sorcières qui resta célèbre en france (car elle fut récupérée par l’Eglise pour se blanchir du génocide) :
Hildegarde DE BINGEN
quelques recettes tirées de ses principes herboristes :
http://lesjardinsdhildegarde.com/05-01.html
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* (traduit en français par « le marteau des sorcières » – voir p.488), un traité de sorcellerie écrit par deux jésuites, et qui a servi aux inquisiteurs de l’époque à accélérer la persécution des femmes (il a fait l’objet de 29 éditions entre 1486 et le 17ème siècle). Le système d’aveu est strictement le même que celui utilisé par les pornographes contre les actrices : brutalité sexuelle, torture mentale et sexuelle, aveux extorqués sous la douleur et par la persuasion.
** on peut faire une analyse anti-spéciste de la guerre de Troie, car les hommes ont toujours utilisé leurs propriétés et cibles (enfants, femmes, animaux) pour mener et justifier leurs guerres.
*** parmi les savoirs patriarcaux (en plus des religions) les plus virulents : toutes les sciences humaines (dont économiques et politiques) et animales qui édictent les intérêts dominants en matière de gestion des ressources vivantes, la médecine, l’histoire, le droit.