in Les Temps Modernes n°356, mars 1976.
« Douceur de vivre à sens unique, augmentant l’espace social d’un sexe, et contraignant celui de l’autre. J’imagine que savoir confusément, pour un homme, qu’on peut aller dans la ville, tâter ses billets dans sa poche, et dire : combien? pour voir accomplir ses volontés secrètes, doit accroitre la capacité thoracique et donner un goût particulier à la vie quand on marche dans la rue. Et savoir confusément, pour une femme, que ses semblables, comme elle, ne peuvent être qu’objets dans ces tractations si banales, rétrécit le filet d’air qui lui entre dans les bronches, limite son territoire social imaginaire. »
Quelques courts extraits collectés par Lise Bouvet ( à lire son incroyable scoop it de 700 références abolitionnistes et anti-sexistes)
« condamner la prostitution fonctionnarisé, tout en faisant le lit des réformes en ce sens. Mené dignement par des femmes, qui réclament leur dignité de marchandises »
« et l’essentiel déjà réglé en coulisse : la rentabilisation du marché, l’aménagement de la marchandise »
« il existe chez nous le sexe putain et le sexe client. Il n’y a que les hommes farceurs pour se dire : si la fin du mois est difficile, je pourrai toujours faire une passe. Les femmes savent sérieusement que l’éventualité leur en est toujours offerte, comme le fait culturel le plus banal.
« leur révolte collective (NDLR : des prostituées de Lyon à l’époque) ne s’est pas faite contre la nature du service fourni au client, l’usage de leur corps contre argent (…) mais contre l’aggravation de la répression policière et fiscale du racolage »
« réclamer un statut, quel qu’il soit, c’est obtenir un enfermement »
« en se prétendant déjà libres, elles s’interdisent de le devenir. A quoi peut aboutir, par exemple, dans la pratique, la plateforme de revendications mise au point par les prostituées parisiennes, sinon à la réglementation ? »
« Fiction de la relation privée, fiction du « libre » consentement, alors qu’il s’agit d’une adaptation à des méthodes du proxénétisme. »
« la « liberté » réclamée ne peut venir qu’en rupture avec tout ce système, organisé sur le mode contractuel ou sentimental. »
« si les victimes du système viennent en première ligne pour le défendre, elles ne le couvrent pas pour autant de leur autorité morale »
« Du proxénétisme diversifié et semi-clandestin, au proxénétisme ouvert, coté en bourse ou étatisé, le chemin semble être le même dans nos sociétés industrielles avancées. Les mouvements de prostituées, qui se développent concuremment dans d’autres pays occidentaux, vont, malgré leur apparence syndicale, (…) dans le même sens de réglementation et d’enfermement. Pensant peut-être atteindre la libération de la prostitution par sa légalisation, demandant l’intégration officielle de la prostitution dans le champ social, (…) cette évolution moderniste de la commercialisation publique des femmes. »
» Quand, dans cette même société, les mouvements de libération des femmes sont immédiatement intégrés dans le spectaculaire marchand pour servir de caution au grand laissez·faire laissez·passer de la viande, qu’on aime supposer libérée celle qui rend son corps disponible à la demande, comme on libère un logement… »
« Douceur de vivre à sens unique, augmentant l’espace social d’un sexe, et contraignant celui de l’autre. J’imagine que savoir confusément, pour un homme, qu’on peut aller dans la ville, tâter ses billets dans sa poche, et dire : combien? pour voir accomplir ses volontés secrètes, doit accroitre la capacité thoracique et donner un goût particulier il la vie quand on marche dans la rue. Et savoir confusément, pour une femme, que ses semblables, comme elle, ne peuvent être qu’objets dans ces tractations si banales, rétrécit le filet d’air qui lui entre dans les bronches, limite son territoire social imaginaire. »
« la marginalité est plus révélatrice d’une société que sa normalité : la prostitution est au cœur même de la situation particularisante faite à toutes les femmes du réel, au cœur même des images et des destins sociaux qui les cernent. »
« la démocratie avancée a troqué l’idéologie de la liberté propre à l’être humain contre celle du libre usage de la marchandise à deux pattes. »
« personne n’est libre dans cette histoire…ni les prostituées, que leurs origines et leur histoire individuelle ont souvent irrésistiblement amenée à se vendre, et qui n’ont que très peu de chances de s’en sortir intactes. »
« comme si l’intégration de fait dans le circuit économique en supprimait le scandale, … , dédouanait moralement un crime contre l’humanité. »
« où est la dignité à troquer sa survie contre sa destruction ? »
« aucune légalisation ne changera la dignité des femmes prostituées en dignité de la prostitution, comme elle ne change pas la dignité des femmes mariées en dignité du devoir conjugal subi sans désir »
« curieux avatar du féminisme…cette complicité d’esclaves sous couvert de féminisme, cette entreprenante résignation à l’état de marchandise, … , enfin acceptante des règles du jeu, que produit l’idéologie libérale avancée de la marchandise. »
« fiction d’un échange de bons procédés entre sujets libres, volonté de ne pas savoir pour ne pas s’interroger, de croire à la liberté de la prostituée pour conserver la sienne. »
« de fait, c’est peut-être un acte anodin dépourvu de signification, entre des dizaines d’autres activités, pour l’homme, alors que pour la femme qui se fait pénétrer répétitivement à longueur de journée, il a signification, c’est toute sa vie d’une certaine manière. »
« client anonyme, à qui on ne demande aucun compte du réel, et qui se sent pur sujet »
« tant de corps vécus comme une machinerie séparée de l’être »
« Mais pourquoi faudrait-il que quelqu’un d’autre se dévoue? Pourquoi un certain nombre de femmes devraient-elles être les poubelles ou les souffre-douleur des pauvres types à qui on n’a pas donné idée d’autre chose? Pourquoi compter sur les femmes qui, pour des raisons d’origine sociale, raciale, de problèmes familiaux, affectifs, ou autres, ont souvent, depuis l’enfance, ce destin naturellement ouvert devant elles? Si l’on sacralise tant les désirs sexuels des hommes, pourquoi ne pas proposer, démocratiquement, un service prostitutionnel national, auquel toutes les femmes, sans réforme possible, seraient astreintes à tour de rôle? «
« a-t-on jamais eu de souci à propos des femmes infirmes, ou pas belles, ou celles dont les instincts ne sont pas recevables par tout un chacun ? »
« Et à la fin des fins, quand cessera-t-on de penser et de faire comme si les seuls hommes avaient un sexe, avec les besoins et désirs attenants, étaient seuls sujets sexués, seuls sujets désirants? Les femmes des êtres fonctionnels, sans désirs ni désir. sans besoins sexuels, pourvues non pas d’un sexe, mais d’une commodité? »
« ON N’A PAS SON CORPS, ON EST SON CORPS et non un objet, un instrument, séparé de l’être, qu’on peut vendre, louer, abandonner, ou garder pour soi, mais l’être même. ON NE S’APPARTIENT PAS, ON EST.
« viol, avortement, prostitution : il s’agit de la même chose : autant il est merveilleux d’être enceinte quand on le désire, autant avoir dans son ventre un corps étranger qu’on refuse, et qui croît, est un scandale affolant, invivable (…) c’est ça ou c’est moi. Et l’avortement est une réaction élémentaire d’intégrité corporelle. Autant il est merveilleux de faire l’amour avec qui on désire, autant la pénétration par une chair imposée de force est un scandale affolant, invivable, l’irruption de la mort en soi. »
« Le corps réagit-il différemment lorsqu’il y a de l’argent et lorsqu’il n’yen a pas? En est-on moins malade pour autant? Moins coupée? Moins expulsée dd soi-même? Où peut-on aller se réfugier quand le lieu de son corps est occupé par autrui? Quand on n’a même plus son espace du dedans? »
« on peut penser que c’est un luxe de privilégié d’être son corps »
« Avoir un corps ou être son corps; on dirait que les hommes, sont leur corps plus facilement que les femmes, qu’ils le ressentent comme volume compact et clos sur soi »
« Bah nous faisons tous des métiers de putes, nous nous prostituons tous » Surtout, semble-t-il, ceux qui se sentent obligés à la complaisance continue dans un emploi tertiaire, de service ou d’intellectuel. »
« la prostitution physique touche à l’intégrité du dedans, à l’identité d’un être sexué et total. »
« les femmes acceptent aisément encore cette dés-intégration (…) elles jouent leur rôle dans le théâtre érotique des hommes. »