The second sex : breadwinner and commodity.

Le Time, en mars dernier, par un raccourci stupéfiant, a affirmé que les femmes tendaient à dominer économiquement aux E-U :

Women: The Richer Sex. By Liza Mundy. Mar. 26, 2012.

Breadwinners, nous bénéficions de la richesse que nous créons !

Premier argument backlashist de l’article : les femmes étant « devenues » (ça fait longtemps qu’elles le sont) les « breadwinners » (pourvoyeuses de richesses), elles seraient donc le plus riche des deux sexes !

Cette contre-vérité absurde repose sur un « oubli ». Le Time fait semblant d’ignorer qu’il existe une exploitation spécifique des femmes par les hommes ! Les richesses qu’elles produisent ne leur reviennent que très très rarement. Que ce soit dans le cadre domestique (production invisibilisée par sa gratuité) ou sur le marché du travail, quel que soit les secteurs économiques dominants dans ces sociétés patriarcales (primaire, secondaire ou tertiaire), quelle que soit l’organisation de ces sociétés (clans, communautés enclavées, nations, états), les richesses que les femmes produisent sont presque totalement accaparées par les hommes, car ils sont la caste dominante. Cette logique organise tout l’espace social, depuis ses super-structures (marché du travail, finance internationale) jusqu’au foyer. « Ce qui est à vous est à nous » dit la caste virile aux femmes, « et vous aussi vous êtes à nous » rajoutent-ils en vendant ou en violant les femmes publiques, les femmes de l’ennemi ou les femmes du voisin ; « Ce qui est à toi est à moi » dit l’homme marié aux femmes de sa maisonnée, « et d’ailleurs toi aussi tu es à moi » assène-t-il à coups de viol conjugal, de viol par inceste, de viol par personne ayant autorité.

En effet, nous sommes les pourvoyeuses de richesses, mais ce n’est pas pour nous, ça profite aux hommes.

De plus, il est faux de dire que le phénomène est nouveau. Depuis que le patriarcat existe nous sommes les pouvoyeuses de richesses. C’est ce que signifie une exploitation : les opprimées triment et produisent la richesse, les dominants ramassent. Le Time admet que nous produisons plus de richesse que les hommes car nous sommes arrivées en masse sur le marché du travail. Or seulement là notre travail est – partiellement et moins encore que celui des hommes – « reconnu » car il est valorisé économiquement. Mais le Time serait effaré s’il faisait réellement les comptes.

Business is business : Entreprenons de nous asservir !

Beaucoup de journaux se sont emparés du filon « Attention, elles profitent du système« . Par exemple the Miamy Herald dresse un portrait surréaliste de la société ultra-sexiste des E-U : les femmes créent des entreprises par milliers tandis que les hommes accomplissent plus de travail domestique et de travail parental.

La photo de l’article met en lumière une entrepreneuse qui gagne : « Ronert has built a clinical skincare business in West Palm Beach that employs 150 people and rings up sales of more than $30 million. It is one of the largest women-led businesses in Florida« .

Cette photo est assez représentative en fait de ce que les hommes nomment succès quand il s’agit de nous : jouer à leur jeu du winner avec nos cartes de subalternes. Quelles sont ces cartes ? Corps défectueux : l’industrie de la beauté est l’amie des femmes ! Corps douloureux, suintant, handicapant : la technologie médicale nous vient à l’aide. Corps pour les autres, corps pour les hommes : les industries du vêtement, de la lingerie et des jouets phalliques nous ouvrent leurs portes. Corps pour les autres, corps pour l’enfantement : tout est fait pour nous aider, le moindre besoin naturel est détourné par des médecins, psychologues et industriels, tandis que le moindre service public de bon sens est inexistant ou se raréfie.

Lorsque l’article s’appuie sur les chiffres de la création d’entreprise pour dire que les femmes gagnent, c’est doublement du mensonge. D’une part, la plus grande part de la richesse produite s’évapore dans les poches « du système », qui a un sexe – et c’est pas le notre. D’autre part, beaucoup vendent les produits de notre destruction physique (agro-alimentaire, cosmétiques), de notre chosification (prêt-à-porter) ou rationalisent notre servitude (organiser les services à la personne, etc.).

Restons bandantes : faisons profiter les hommes de notre réussite !

Voici donc le second grand argument backlashist du numéro du Time. Le Time, en tant qu’organe de propagande virile, se fait l’écho des intérêts matériels des hommes. Je cite :

“men are increasingly looking for partners who will ‘pull their own weight’ economically in marriage”.

D’une part, on fait croire que le calcul vénal serait pour les hommes un phénomène nouveau, survenu à la faveur de l’enrichissement des femmes … Quel beau conte. Les hommes, en tant que classe prédatrice, n’ont aucun scrupule à nous spolier, même quand nous sommes exsangues (la violence par conjoint et la prostitution le démontrent quotidiennement). De plus, la recherche de leur profit économique est une des deux bases (avec l’organisation de la violence sexuelle) de toutes leurs institutions (hétérosexualité, mariage, filiation, marché du travail, etc.).

D’autre part, le message est clair. Les femmes doivent bien comprendre ce qui se passe : s’il leur venait de gagner plus qu’un homme, il leur faudrait immédiatement restituer leur vol à la caste dominante. Les arguments sont pour le moins convainquants : les hommes deviennent hargneux car ils se sentent inutiles [pensent perdre leur pouvoir du chantage économique], les femmes ne trouvent plus de conjoints [trouvent des parasites qui ont la conscience moins tranquile qu’avant] car elles font peur [sont diabolisées et démultipliées par les médias] ….

Ennivrées qu’elles seraient par l’argent qui passe entre leurs mains, les femmes pourraient oublier d’en faire profiter les hommes … Heureusement, le Time est là pour veiller au bien « commun » et ramener tout le monde à la Raison en tirant quelques unes de ses vieilles ficelles patriarcales : elle gagne sa vie, or sa vie c’est son couple & il n’y a pas de vol entre époux …  il a des sentiments (colère, envie) et des besoins (dominer, maintenir une dépendance), or ces sentiments sont naturels & la nature est toujours bonne conseillère.

Who wins ? Who is the price ? Who pays the price ?

 L’image de l’article du Time en dit long sur l’économie politique que l’article occulte tout en la réaffirmant.

> La richesse qui colle à la peau des femmes est minimale : 1 $, la plus symbolique possible.

> C’est la femme qui est réduite à la richesse. Il ne viendrait à l’idée de personne de parler du pouvoir économique des hommes en les assimilant à l’argent. Ils sont montrés le possédant fermement ou en jouissant. Quand parfois on prétend montrer une femme qui gagne de l’argent, on la montre couchée et couverte de cet argent, ou orné par lui, comme d’un bijou. Pourquoi seule une femme est ainsi réifiée ? Car dans l’économie politique du patriarcat, elle circule entre hommes ou est accaparée par un ou plusieurs hommes : elle est leur capital.

Gayle Rubin l’a bien analysé, dans  L’économie politique du sexe : transactions sur les femmes et systèmes de sexe/genre, dans sa courte période féministe [elle a rapidement viré pro-sadomasochisme, en raison de ses postulats psychologiques naturalistes, sur la pulsion ou la sexualité infantile en particulier].

Marx observait que la bière est nécessaire à la reproduction de la classe ouvrière anglaise, et le vin pour la française : « […] La force de travail renferme donc, au point de vue de la valeur, un élément moral et historique ; ce qui la distingue des autres marchandises » (Marx, Le Capital, t. I, éd. 1971 : 174 ). C’est précisément cet « élément moral et historique » qui détermine qu’une « épouse » fait partie des choses indispensables au travailleur, que ce sont les femmes plutôt que les hommes qui effectuent le travail domestique, et que le capitalisme est l’héritier d’une longue tradition où les femmes n’héritent pas, où les femmes ne dirigent pas, où les femmes ne parlent pas à dieu.

[…] Lévi-Strauss [a avancé que] les mariages sont une forme tout à fait fondamentale de l’échange de dons, où ce sont les femmes qui sont les présents les plus précieux. Il soutient que la meilleure manière de comprendre le tabou de l’inceste est d’y voir un mécanisme permettant d’assurer que de tels échanges aient lieu entre les familles et entre les groupes. […] Si ce sont les femmes qui font l’objet de transactions, alors ce sont les hommes, qui les donnent et les prennent, qui sont liés entre eux, la femme étant un véhicule de la relation plutôt qu’un partenaire. […] Si les femmes sont les dons, alors ce sont les hommes qui sont les partenaires de l’échange. Et ce sont les partenaires, et non les présents, auxquels l’échange réciproque confère son pouvoir quasi mystique de lien social. Les rapports dans ce genre de système sont tels que les femmes ne sont aucunement en position de tirer bénéfice de leur propre circulation. […] Il n’est certes pas difficile de trouver des exemples ethnographiques et historiques de trafic des femmes. Les femmes sont données en mariage, prises lors des combats, échangées contre l’obtention de faveurs, envoyées comme tribut, troquées, achetées et vendues. Loin de se limiter au monde « primitif », il semble même que ces pratiques n’en deviennent que plus prononcées et commercialisées dans les sociétés plus « civilisées ». Bien sûr, on fait aussi trafic des hommes, mais c’est en tant qu’esclaves, prostitués, stars de l’athlétisme, serfs ou autres statuts sociaux catastrophiques, et non en tant qu’hommes. Les femmes font l’objet de transactions en tant qu’esclaves, serves et prostituées, mais aussi simplement en tant que femmes.

[…] Dans le cadre des transactions matrimoniales et des réseaux d’échange primitifs, l’échange de femmes n’est généralement que l’un des nombreux cycles d’échange. D’ordinaire, d’autres objets circulent tout autant que les femmes. Les femmes vont dans une direction, le bétail, les coquillages ou les nattes dans l’autre.

[…] pour Lévi-Strauss, les femmes sont comme des mots, dont il est fait mauvais usage s’ils ne sont pas « communiqués » et échangés.

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Le trafic des femmes dont parle Rubin a pris de nouvelles proportions avec la mondialisation du patriarcat post-industriel. Au centre du contrat social, deux formes de transactions sexistes : le mariage et la prostitution.  Carole Pateman l’analyse comme étant un contrat sexuelLes bénéfices des hommes sont colossaux : au plan économique, le travail gratuit des femmes représente une part non négligeable du PIB (d’1/3 à 2/3 du PIB selon les estimations), et aux bénéfices de la pornographie et de la prostitution, il faut ajouter les profits qu’engrangent les industries qui bénficient ou même vivent de la putification des femmes – publicité, cinéma, tourisme, etc.

Morale de l’histoire.

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